Récit d’une rencontre à la frontière franco-italienne…

Vintimille, août 2015

C’est l’histoire d’une rencontre, une après midi passée au camp No Border, ce camp autogéré par les migrants bloqués à la frontière et ceux qui les soutiennent. Avant cela, la rencontre s’est faite à Vintimille, non loin de là.

Vintimille, c’est une petite ville au bord de la méditérannée, en Italie, non loin de la côte d’azur. Elle est charmante, colorée et très touristique comme on peut s’en douter. De nombreux magasins d’alcool, de cigarettes et de produits italiens arborent ses rues, bref, une vraie ville frontalière.

A sa petite gare, le contraste est frappant entre l’ambiance générale touristiquement huppée et le camp de la Croix Rouge posté là, comme une tache sur un paysage idyllique. Il abrite plus de cinq cent personnes empêchées de passer la frontière française. Ils sont chaque jour plus nombreux à y arriver et chaque jour plus nombreux à être refoulés de la ligne infranchissable.

Quand nous nous sommes approchés du camp, les carabinieri nous ont, en francais, demandé de ne pas prendre de photo et de ne pas avancer davantage. Aujourd’hui, il faut une autorisation pour pouvoir accèder à cette réalité bien sombre : on parque des êtres humains, à côté de chez vous, non loin de là où vous passez vos vacances, où vous savourez vos congés payés. Mais rassurez-vous, on va les cacher pour ne pas gacher le paysage…

Alors, nous sommes partis, guère plus loin, juste devant la gare. Et nous y avons rencontré certains d’entre eux. La plupart sont originaires du Soudan, d’autres du Tchad, d’Erythrée, d’Ethiopie ou encore de Tunisie.Tous ont fui une situation insoutenable au point de risquer leur vie pour venir jusqu’ici.

D’abord en passant par la Libye. On nous présente un jeune homme, visiblement pas très en forme. On nous explique qu’il s’est fait tabasser par des passeurs en Libye, presque à mort, du coup depuis, il est complètement traumatisé et a perdu les pédales.

Ensuite, dans les bateaux de fortune, entassés à des centaines pendant des jours et des nuits sans boire et sans manger. Ils ont vu la mort de près. L’un d’entre eux lorsqu’il s’est rendu compte de ce qu’il attendait a voulu faire demi tour mais on ne lui a plus laissé le choix. Il a du embarquer comme tous les autres. Un autre nous fait comprendre qu’il n’avait de toute façon pas le choix, il fallait qu’il traverse la Méditérannée, qu’il puisse sauver, en se sauvant lui même, l’ensemble de sa famille.

Leur long et dangereux périple illustre une chose certaine: ils se sont retrouvés dans une situation désespérée qui les a poussés à partir. Qui serait prêt à quitter famille, amis, culture, langue, au péril de sa vie, si ce n’est en situation de détresse profonde, dans l’espoir de trouver un lieu où vivre décemment et pouvoir venir en aide à ses proches?

A l’écoute de ce qu’ils ont vécu, je me sens bien petite et bien faible comparé à autant de courage et de détermination. Et j’ai honte. Honte de constater “l’accueil” que leur réserve mon pays, mes représentants politiques, et d’entendre en boucle le discours qui domine, dans les médias et malheureusement trop de bouches. Le mot accueil n’a plus aucun sens dans ce cas. C’est plutôt son contraire qu’il faudrait employer, inventer. Le rejet, l’indifférence, l’abandon, …. la non assistance à personne en danger. Parce que non seulement on les rejette sans aucune forme de procès, on les dégage, on garde leur papiers dans certains cas, on ne leur rembourse pas le billet de train, on ne leur donne aucune explication, mais en plus, on les laisse crever. Si il n’existait pas cette solidarité parmis la population sensible à leur sort, ces hommes et ces femmes pourraient tous crever, à côté des bungalows et serviettes de plage.

Quand nous les avons rencontrés, les premières questions qu’ils nous ont posé étaient: “Que pouvez-vous faire pour nous permettre d’aller de l’autre côté? Est-ce que chez vous, dans votre pays, on aurait le droit de rester?”, la suivante: “Pourquoi ne nous laissent-ils pas aller jusqu’en Angleterre? On ne veut pas aller en France, pourquoi ne nous laissent-ils pas passer?”… Incompréhension légitime de cette mesure récente et arbitraire. J’étais incapable de leur répondre, ça me paraissait moi aussi complètement insensé. Du jour au lendemain, on a fermé les portes et on leur a dit “on ne passe plus”, seuls les européens le peuvent, Shengen est bien selectif, à Menton en particulier. Et quels sont les critères? Être né au bon endroit? Qu’est ce que cela signifiie? Et n’a- t-on pas assez prouvé que cette vieille peur d’être soudain envahi n’est pas fondée? Que l’immigration rapporte plus qu’elle ne nous coûte et ce depuis toujours?

Une fois qu’ils ont compris qu’on ne pouvait pas les faire rêver, et que malheureusement nous n’avions pas de bonnes nouvelles à leur apporter, seulement un peu de compassion et d’intérêt, nous avons discuté de leurs parcours, des jours passé en Italie, de la Belgique qui n’est pas non plus un paradis pour les migrants… Non, il n’en existe pas en Europe, ni nulle part dans le monde. Oui ce monde est mal fait, sauf pour celui qui a de l’argent évidemment, de préférence beaucoup d’argent, c’est un passeport universel. Il permet de se déplacer partout, de voyager confortablement de recevoir un bel accueil…

L’un d’entre eux, Moussa, a 17 ans et parle très bien français. Il l’a appris au Tchad. Il nous demande de lui expliquer la Belgique, il nous raconte que ça fait 2 mois qu’il est là. Deux mois où tous les jours il prend le train pour la France, et tous les jours se fait ramener à la frontière. Une fois il a pu aller jusqu’à Marseille avec un ami. Mais comme il n’avait pas de lieu où dormir, il a dormi dehors et les policiers lui sont tombés dessus. Retour à la case départ.

Après avoir longuement discuté, nous nous sommes dirigés plus près de la frontière, après Vintimille, avant Menton. Là se trouve un camp No Border. Ce camp s’est mis en place lorsque de nombreux migrants refoulés à la frontière à quelques mètres de là ont élu domicile sur les rochers bordant la mer. “We shall not go back” (“Nous ne retournerons pas”) dit une banderole.

Alors, des jeunes et moins jeunes, italiens et français pour la plupart, sont venus, parfois de loin, en solidarité pour les soutenir et les aider à organiser le camp.

Le camp se renouvelle chaque jour entre ceux qui partent et ceux qui arrivent. Ils s’organisent ensemble, y ont placé des sanitaires, des matelas et couvertures, une friperie gratuite, un bureau… Chaque matin se déroule la réunion du “welcome”, sorte d’assemblée générale lors de laquelle est expliqué le fonctionnement, la caisse de soutien, l’organisation journalière des tâches comme les repas, les ateliers de francais, d’anglais, … mais aussi l’organisation des manifestations à la frontière qui ont lieu régulièrement pour montrer qu’ils sont toujours là et qu’ils ne partiront pas.

Ce lieu d’échange et de solidarité n’en est pas moins un lieu précaire, à ciel ouvert, qui permet seulement d’attendre provisoirement un échapatoire, une perspective pour atteindre l’objectif initial, l’Angleterre, ou du moins, une terre d’accueil, un pays où il ferait bon vivre, où un avenir meilleur les attendrait avec la possibilité de venir en aide à leur famille restée au pays. Dans l’absolu, ce n’est pas grand chose et pourtant ça semble impossible dans notre monde.

Laure Miège / Karim Brikci-Nigassa / Collectif Krasnyi

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