26-10-2015
Le peuple Kichwa de Sarayaku vit sur les berges de la rivière Bobonaza au cœur de l’Amazonie Equatorienne : 135.000 hectares de forêt primaire sous lesquels se cachent des milliers d’animaux, d’insectes et de plantes. Descendants probables des Incas, ils sont aujourd’hui 1200 à vivre de chasse, de pêche et d’agriculture.
Peu de gens le savent en Occident mais tous les pays de la Cordillère des Andes, et donc l’Equateur également, recèlent en leur sous-sol de vastes poches de pétrole. Dès les années 70, elles commencèrent à être exploitées et on assista rapidement à une véritable ruée vers l’or noir. Environ la moitié de la forêt amazonienne fut ainsi livrée à l’avidité irresponsable des exploitant pétroliers dont les méthodes indignes polluèrent définitivement les sols et les rivières. Des populations entières furent décimées soit par la déportation dans les bidonvilles des grandes cités, soit par la maladie.
Sarayaku, au centre du territoire ne fut pas touché mais les compagnies pétrolières pénétrèrent la forêt jusqu’à 35 km.
Puis l’Etat équatorien découpa son territoire en “blocs”, sortes de concessions qu’ils confia à différentes firmes pétrolières pour les exploiter. Sarayaku dépend du bloc 10 concédé à AGIP et du bloc 23 concédé à la CGC (Compagnie Générale des Combustibles) argentine.
En 2002, la CGC, accompagnée de militaires équatoriens pénétra illégalement le territoire Sarayaku et commença à enfoncer plus d’une tonne d’explosifs dans le sol pour procéder à des explorations sismiques. Mais le peuple de Sarayaku se mobilisa, résista et repoussa pacifiquement ces missions d’exploration illégales.
Ce fut un tournant dans l’histoire du pays et Sarayaku devint le symbole de la résistance des peuples indigènes.
En 2003, le peuple Kichwa de Sarayaku dépose une plainte auprès de la Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme (CIDH) contre l’État équatorien pour non respect des droits collectifs de peuples autochtones et violation de la Constitution nationale. Et le 25 juillet 2012 la CIDH dicte la sentence: l’État équatorien est accusé d’avoir violé les droits du peuple de Sarayaku, et les peuples autochtones devront dorénavant être consultés pour tout projet susceptibles d’affecter leurs droits.
Aujourd’hui la lutte continue. Car malgré cette sentence les compagnies pétrolières sont toujours aussi avides et à la recherche de nouveaux gisement et l’État équatorien réprime de plus en plus durement les manifestations des peuples concernés. La situation ne cesse d’empirer: présence massive de policier et de militaires dans les principales zones de résistance, nombreux cas de violences, arrestations arbitraires, violation des droits de l’homme, disparitions de personnes…
On assiste dès lors à un scénario bien connu en Occident: la presse nationale officielle d’Equateur minimise et relate très peu ces événements ou pire: pratique la désinformation en criminalisant la protestation pacifique (marches pour “La Dignité de Peuples” sur la capitale Quito) des manifestants indigènes.
C’est dans ce contexte de nouvelle violation de leurs droits fondamentaux que l’association des femmes de Sarayaku “Kurinampi” a souhaité organiser une tournée d’informations et de rencontres en Belgique avec 5 femmes de Sarayaku. Cette tournée, coordonnée entre autres par la “Casa Nicaragua – Pierreuse et Ailleurs” de Liège a permis au travers de conférences, de projections de films et de rencontres, de faire découvrir à de nombreuses personnes la situation et les luttes du peuple Kichwa de Sarayaku. Pour les avoir rencontrées et écoutées longuement je peux vous affirmer que ces femmes font preuve d’une extrême sagesse, d’une énorme force morale et d’une très grande détermination.
Le combat de 30 ans du peuple Kichwa de Sarayaku qui malgré une taille insignifiante sur l’échiquier géo-politique mondial est parvenu à tenir en échec les ambitions dévastatrices des géants pétroliers internationaux est à rapprocher de nos luttes ici en Europe. Ici comme là-bas il s’agit de défendre nos droits face à de grands groupes internationaux prédateurs qui viennent exploiter nos vies, notre terre ou notre industrie au mépris de notre dignité.
Frédéric Hérion / Collectif Krasnyi