Bruxelles | 03-11-2021
À la lecture des premières décisions prises par l’Office des étrangers concernant les demandes de régularisation des ex-grévistes de la faim dont nous avons pu prendre connaissance, nous décidons de nous exprimer publiquement sur le contenu des rencontres que nous avons eues avec le Secrétaire d’État, Sammy Mahdi et qui ont conduit les grévistes à suspendre leur action et à introduire individuellement leur demande de régularisation.
Dominique Botte | Krasnyi Collective
Réactions et témoignages d’Alexis Deswaef (avocat), Marie-Pierre de Buisseret (avocate), Mehdi Kassou (porte-parole de la Plateforme Citoyenne) et Daniel Alliet (Prêtre à l’Église de Béguinage), présent.e.s aux discussions avec le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, en présence de l’envoyé spécial du gouvernement (médiateur), Dirk Vanderbulcke (Directeur du CGRA) et de Freddy Roosemont, Directeur de l’Office des Étrangers.
Le 21 juillet dernier, nous, Alexis Deswaef (avocat), Marie-Pierre de Buisseret (avocate), Mehdi Kassou (porte-parole de la Plateforme Citoyenne) et Daniel Alliet (Prêtre à l’église du Béguinage), rencontrions au cabinet du Secrétaire d’État, Sammy Mahdi en présence de Dirk Vanderbulcke (CGRA) et de Freddy Roosemont (Office des étrangers). De longues discussions avaient déjà été entamées la veille, le 20 juillet, entre les 4 intervenants, l’Envoyé Spécial, Dirk Vandenbulcke et le Directeur de l’office des étrangers, Freddy Roosemont. Malgré de longues heures de discussions sur les pratiques de l’OE en matière de régularisation et sur les revendications des grévistes, cette première rencontre s’avèrera un échec et chacun.e repartira de son côté sans solution de fin de crise. Quelques heures plus tard, une nouvelle rencontre est fixée le 21 juillet à 9h du matin (sur invitation du cabinet), au cabinet du Secrétaire d’État et, cette fois-ci, en sa présence.
De longs échanges reprennent sur les pratiques de l’Office des étrangers en matière de régularisation. Le nœud du problème étant l’absence de confiance totale dans la manière dont l’Office des étrangers allait traiter les dossiers des grévistes, les 4 intervenants reprochent à l’administration l’absence de critères clairs pour le traitement des dossiers, et l’arbitraire qui découle de cette absence.
Quelques situations types, permettant une régularisation, sont alors évoquées par Freddy Roosemont. La discussion est entamée. Celle-ci se focalise sur la situation des grévistes parce que les 4 intervenants présents insistent sur le fait que les situations présentées par F. Roosemont ne concernent pas les grévistes. Des profils type de grévistes sont présentés. Résidant en Belgique depuis plusieurs années, ceux-ci témoignent d’une bonne intégration, ont des offres d’emploi, une vie sociale et citoyenne actives, etc. et peuvent en produire la preuve.
Les 4 représentants insistent donc sur le fait que tant que l’Office des étrangers n’acceptera pas de tenir compte de ces éléments, il leur serait impossible de retourner vers les grévistes avec des informations leur permettant d’interrompre la grève de la faim. Le Secrétaire d’État a alors répondu que les grévistes de la faim qui « vivent en Belgique depuis un certain nombre d’années », qui « sont bien intégrés » et « peuvent produire des preuves de ladite intégration, doivent introduire leur dossier et arrêter la grève car ceux-là sont dans une situation pouvant donner lieu à une régularisation ». D’autres éléments ont été présentés, tous permettaient d’apaiser les inquiétudes des intervenants présents et des grévistes. Il a été demandé par les intervenants à Monsieur Roosemont de confirmer ce qui venait d’être dit. Ce que ce dernier a fait.
Il a également été dit lors de la discussion :
- « que tous les dossiers seraient recevables et traités sur le fond alors que dans la pratique de l’Office, la majorité des dossiers étaient considérés comme non recevables et n’étaient donc jamais traités sur le fond. »
– Le 16 juillet dans Le Soir, lorsqu’un journaliste lui pose la question : « les grévistes risquent-ils de voir leur dossier écarté sur la question de la recevabilité ou ont-ils l’assurance que les dossiers seront traités sur le fond ? » ; Sammy Mahdi répondait : « Chaque dossier recevra une réponse sur le fond, sur les éléments du dossier. Donc ils seront a priori recevables. ». https://www.lesoir.be/384464/article/2021-07-16/sammy- mahdi-avec-lasile-et-la-migration-jai-parfois-limpression-detre-tous-les
– Lien de l’écho du 30 juillet : https://www.lecho.be/economie- politique/belgique/federal/les-sans-papiers-assures-d-un-traitement-rapide-des- demandes-de-regularisation/10323115.html ; - que « les interdictions d’entrées délivrées dans le passé ne seraient pas un obstacle à la régularisation » ;
- que « les problèmes d’ordre public n’entraîneraient pas d’office un refus (une mise en balance des éléments sera faite avec les éléments d’intégration) à l’exception des condamnations pour traite des êtres humains » ;
- qu’« une attention toute particulière serait portée aux « victimes » de la régularisation de 2009 (ceux qui se trouvaient dans le critère de régularisation par le travail et qui ont perdu leur emploi à cause de circonstances indépendantes de leur volonté) » ;
- que « les personnes qui ne pensaient pas avoir un dossier d’intégration suffisamment important pouvaient introduire une demande de régularisation 9ter sur présentation d’une attestation médicale. une demande de régularisation médicale qui leur permettra d’avoir une carte orange de trois mois pour se rétablir de la grève de la faim » en pratique, cela n’a pas été respecté ;
- qu’« il était difficile de donner un nombre d’années de présence sur le territoire précis car les récits d’intégration prévalaient sur le nombre d’années de présence en Belgique et que certaines preuves, refusées jusqu’ici, seraient admises au dossier (attestations produites par les requérants et leurs proches, par exemple)» ;
- qu’« être soutien d’une personne âgée ou malade en séjour légal même si elle n’est pas un membre de la famille (la présence est indispensable à l’aide de cette personne), sur base de témoignages sérieux serait un élément important » ;
- qu’« avoir 65 ans ou plus et avoir une famille en Belgique » est un élément important ;
- Il a également été dit par Freddy Roosemont et confirmé par le Secrétaire d’État que les porte- parole ne seraient pas sanctionnés pour leur position dans le cadre de cette action, mais en pratique, au moins deux décisions négatives adressées aux porte-parole stipulent comme point en défaveur que : « de plus, par cette grève de la faim, il/elle met en danger sa santé, ainsi que celle des autres personnes dont elle a été porte-parole ».
ATTENTION : Liste non-exhaustive. Manquent entre autres les pratiques habituelles de l’Office des étrangers en matière de régularisation.
Les discussions auront, en tout, duré plus de 5h et donné aux 4 représentants des éléments concrets permettant d’adresser aux grévistes des informations qui, selon les dossiers connus, devaient pouvoir rencontrer une partie importante des dossiers et aboutir à des régularisations. Nous constatons aujourd’hui que ce qui a été dit durant ces discussions n’a pas été respecté. En effet, tous les négatifs dont nous avons pu prendre connaissance concernent des dossiers qui répondent en très grande partie aux lignes directrices mentionnées ci-dessus.
« C’est un scandale », déclare le Père Daniel. « L’esprit et le contenu de cette rencontre n’ont pas du tout été respectés. Sammy Mahdi ne respecte pas les paroles qu’il a lui-même prononcées. Nous étions 4 à cette rencontre et nous pourrons tous les 4 témoigner que les éléments qui ont été mis sur la table n’ont pas été respectés. C’est une honte pour chacun d’entre nous et c’est un drame humain pour les centaines de personnes sans-papiers dont l’avenir vient de se noircir très brutalement ».
De son côté, Alexis Deswaef ne cache pas sa colère. « Ces 20 dernières années, j’ai été sollicité pour plusieurs sorties de grèves de la faim de sans-papiers et ai été en dialogue avec 4 ministres différents. Sammy Mahdi est le premier qui ne tient pas parole ! Nous avons été trompés, c’est une trahison sans nom et n’avons pas d’autre choix que de la dénoncer publiquement. ».
Marie-Pierre de Buisseret, quant à elle, déclare : « Nous n’avons pas inventé les paroles du Secrétaire d’État et l’attitude du directeur de l’Office. Nous étions 4 et avons toutes et tous entendu la même chose. J’ai le sentiment d’avoir contribué à mettre fin à la grève de la faim et d’avoir été dupée par le Secrétaire d’État. C’est un scandale politique dont les conséquences humaines sont incommensurables ».
Mehdi Kassou se dit sidéré par les décisions qui ont été rendues et déclare : « c’est une vraie honte pour l’ensemble des membres du gouvernement qui ont assisté de près ou de loin à ces discussions, j’espère que les partis qui ont déclaré qu’ils quitteraient le gouvernement en cas de mort n’attendront pas une nouvelle grève de la faim pour questionner l’attitude du Secrétaire d’État. Sans réaction de leur part, cela signifierait qu’ils acceptent que nous ayons été instrumentalisés par un membre du gouvernement auquel ils appartiennent », et ajoute : « cela entame radicalement la confiance que la société civile et les citoyens peuvent avoir à l’égard du monde politique. Il n’est pas rare que des lieux de discussions informels soient créés pour faire face à des situations exceptionnelles. Mais les décisions qui se prennent dans ces lieux reposent presque exclusivement sur la confiance et la volonté de toutes et tous à dégager des solutions dans l’intérêt général. Ici la confiance est rompue et des centaines de vies sont instrumentalisées à des fins politiques. Notre démocratie ne peut que s’en inquiéter. »
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