Paris Octobre 61 – Ici on noie les Algériens

A la mémoire de tous les combattants et combattantes de la révolution algérienne,

A la mémoire de toutes les victimes, algériennes et françaises, de violences policières,

A la mémoire de Jean-Luc Einaudi, militant et historien,

Le massacre du 17 octobre 1961 est un évènement oublié. C’est par hasard, au détour d’un roman, celui de Didier Daeninckx, que je suis tombé sur cette histoire. L’histoire de 40.000 Algériennes et Algériens, sortis des bidonvilles, qui osent défier le colonialisme français sur son terrain, celui de sa capitale et de ses grands boulevards. L’histoire de 40.000 Algériennes et Algériens, silencieux, résolus, désarmés, marchant pour leur liberté. L’histoire de 40.000 Algériennes et Algériens qui vont se faire massacrer, en toute impunité.

Le massacre d’octobre 61 est pourtant la répression d’État la plus meurtrière qu’ait subi une manifestation de rue dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, depuis la répression de la Commune de Paris en 1871. Or, ce massacre demeure consciemment occulté, démonstration de la haine de classe et du racisme qui imprègne toujours la lecture officielle de l’Histoire.

Octobre 2021

Karim Brikci-Nigassa, recherches, textes et photos

Thibaut Dramaix, dessins

Manu Scordia, dessins

© Krasnyi Collective

Vous souhaitez visiter Paris sur les traces de ce massacre du 17 Octobre 61 :

Notre mapping de la ville


Le livre de l’exposition est disponible au prix de 8€ / 10€ prix de soutien.

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Le dossier de l’exposition avec sa fiche technique

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A propos de Never Forget

Never Forget est une collection éditée par le Collectif Krasnyi. Nous partons du constat que l’histoire populaire, l’histoire des luttes sociales, l’histoire de leur répression par la classe dominante est consciemment occultée, ou en tout cas absente de manière visible dans les lieux que nous sommes toutes et tous amenés à parcourir quotidiennement.

Dans cette série, après un temps de recherches historiques et géographiques, nous arpentons nos villes et nos campagnes à la recherche des endroits où se sont déroulés les événements majeurs de l’histoire que l’on cherche à raconter. Des photographies de ces lieux contemporains sont capturées et ensuite interprétées par les dessinateurs qui tentent de reconstituer au mieux les événements historiques en question. Nous espérons que ces photographies dessinées vous permettront de découvrir ou redécouvrir un pan important de notre histoire.


“J’ai vu des policiers jeter des Algériens par-dessus le pont, les frapper systématiquement à coup de matraques, à coup de nerfs de bœufs, de crosses des pistolets… On a prétendu que c’était les Algériens qui avaient tiré sur les policiers, et que c’était la raison pour laquelle ils les avaient jetés par-dessus bord. C’est ce qui a été dit par certaines autorités. Mais, en réalité, on se débarrassait des gens qui avaient été tués en les jetant dans la Seine. Le courant les amenait. Ça nettoyait le crime. Des balles ont ensuite été distribuées aux policiers pour remplacer leurs chargeurs. Des balles ont été données le lendemain à certains policiers pour qu’ils puissent témoigner qu’ils n’avaient pas tiré s’ils passaient devant l’IGS.”

– Témoignage du gardien de la paix Paul Rousseau 

NON AU COUVRE-FEU (1)
Boulevard du 17 octobre 1961, actuelle Préfecture des Hauts-de-Seine (anciennement, bidonville de la Folie), Nanterre

A l’appel du Front de Libération Nationale (FLN), la population algérienne quitte les bidonvilles et ses baraquements de tôle où elle est contrainte depuis des années de vivre dans des conditions indécentes. Le 17 octobre, au crépuscule, une foule composée d’hommes, de femmes et d’enfants, en habits du dimanche et sans armes, se dirige vers Paris et ses grands boulevards, résolue à manifester contre le couvre-feu raciste instauré par le préfet de police Maurice Papon le 5 octobre 1961.

LES PREMIERES RAFLES (2)
Métro Solférino, Paris

L’ensemble des accès à la capitale sont bouclés par un important dispositif policier. Le mot d’ordre est clair, aucun rassemblement ne doit pouvoir se former. Dans les stations de bus et de métro, la police arrête chaque personne ressemblant de près ou de loin à un Algérien. On ne compte plus les insultes et les coups. Des centaines sont blessés, certains mortellement.

SUR LES GRANDS BOULEVARDS (3)
Boulevard Bonne Nouvelle, Paris

Celles et ceux qui arrivent à atteindre les grands boulevards parisiens se rassemblent, entre autres à hauteur du métro Bonne Nouvelle. Après quelques dizaines de mètres, la manifestation pacifique est attaquée sauvagement par un cordon de CRS. Les manifestantes et manifestants reculent, tentent de s’enfuir et de s’éloigner, pour se retrouver un peu plus loin confrontés à un nouveau barrage de CRS qui chargent encore plus violemment. Cette fois, la police fait feu. Ailleurs dans Paris, on assiste au même scénario répressif.

“Nous savons qu’il y aura peut-être des provocations et que la police tirera. C’est à peu près inévitable. Ça nous coûtera cher, il y aura peut-être des expulsions et des arrestations. Mais les Français sauront que nous sommes à bout, et que la seule manière d’en finir avec notre problème, c’est d’en finir avec la guerre d’Algérie.”

– Déclaration d’un syndicaliste algérien le 17 octobre dans le journal Afrique Action

NUIT NOIRE AU REX (4)
Cinéma Rex, 5 boulevard Poissonnière, Paris

Sur le boulevard, les insultes de “ratons” et “bougnoules” pleuvent, les matraques se fracassent, des coups de feu éclatent. Dans le quartier des théâtres et des cinémas, on frappe les têtes, on brise les mains, on écrase les corps. Des blessés agonisent sous les porches des immeubles. Devant le Rex, sept manifestants sont allongés et ne se relèveront plus jamais.

UN GOUT DE DEJA VU (5)
Croisement rue Mazagran et boulevard Bonne Nouvelle, Paris

Parallèlement aux ratonnades sauvagement orchestrées, la police procède à des milliers d’arrestations. Devant le siège des Postes, Télégraphes et Téléphones, les bus de la RATP et leurs machinistes sont réquisitionnés pour emmener les personnes arrêtées dans différents centres d’internement de la région parisienne. Cet ordre n’est pas anodin. Pas plus tard que vingt ans plus tôt, ces mêmes bus avaient été réquisitionnés pour emmener de force des milliers de Juives et de Juifs au Vel d’Hiv, avant d’être déportés.

COMITES D’ACCUEIL (6)
Palais des Sports, Porte de Versailles, Paris

Sur les 40.000 manifestants et manifestantes, plus de 11.500 hommes sont arrêtés et internés. Le Palais des Sports est réquisitionné. A leur arrivée, les Algériens sont systématiquement accueillis à la sortie des bus par les violents coups de matraques de dizaines de policiers. La presque totalité des huit mille internés au Palais des sports sont blessés. Ils seront entassés, maltraités, brutalisés pendant plusieurs jours sans pouvoir communiquer avec l’extérieur. Faute de soins, plusieurs mourront sur place. Certains seront torturés, d’autres exécutés.

MASSACRE A LA PREFECTURE (7)
Préfecture de police, Caserne de la Cité, Paris

A 22h30, un groupe de policiers bouleversés se rend à la rédaction du journal France Observateur. Ils expliquent qu’un massacre vient de se produire dans la cour de la préfecture de police : une cinquantaine d’Algériens y ont été tués et des corps ont été jetés dans la Seine. “Les agents de police étaient très excités et mécontents . . . C’est alors que certains policiers eurent l’idée de faire une mauvaise plaisanterie à M. Papon : ils ouvrirent aux Algériens la porte conduisant aux appartements privés de leur patron ! Celui-ci crut à une mutinerie et à une menace contre sa personne. Il appela des renforts par téléphone, il y eut alors un matraquage odieux, où les policiers arrivés de l’extérieur et ceux qui étaient à l’origine de l’affaire conjuguèrent leurs coups, se servant notamment de bancs pour abattre les détenus. Il fallut ramasser de nombreux Algériens pour les charger dans les voitures de la police. En quel état étaient-ils ? S’ils n’étaient pas morts, c’est qu’ils avaient la carcasse dure.” – Témoignage anonyme d’un policier publié dans le journal Vérité-Liberté en novembre 1961.

SOLIDARITE A L’HOPITAL (8)
1 Rue Cabanis, Paris

Le 20 octobre, des femmes et des enfants manifestent pour exiger la libération de leurs maris, de leurs pères, de leurs frères. Un millier d’entre elles, ainsi que 595 enfants, sont arrêtées. Certaines sont conduites à l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne. Elles seront enfermées dans la chapelle de l’institution. Une délégation importante du personnel de l’hôpital obtient de la direction qu’elle exige que la police quitte les lieux, ce qui mettra Papon en fureur. Les membres du personnel, indignés par ces arrestations, organisent la fuite des femmes internées après avoir réalisé une collecte pour leur donner de quoi se déplacer et se nourrir. Ils leur ouvrent une porte de sortie qui n’était pas gardée afin qu’elles puissent s’échapper.

ICI ON NOIE LES ALGERIENS (9)
Quai de Conti, en face de l’Institut de France, Paris

Dans les jours qui suivent la répression du 17 octobre, des militants taguent partout dans les rues des slogans dénonçant la répression que subit la population algérienne de la ville. Une photo, représentant un tag “Ici on noie les Algériens”, deviendra célèbre dans les années 80. Jean Texier, le photographe qui a pris cette photo, explique : “On passe sur les quais de la Seine, tous les deux en voiture et on voit cette inscription : ‘Ici on noie les Algériens’. Deux flics, un à chaque bout, gardaient l’inscription parce qu’ils voulaient la détruire. Alors on passe au ralenti, on revient sur nos pas, je saute pratiquement en marche et je fais deux photos pas plus. J’ai pas eu le temps d’en faire plus, les flics arrivent les bras en l’air, voulant nous arrêter, je saute dans la bagnole et Claude [Angeli] pied au plancher, on s’en va tous les deux.”

VICTIMES ET DISPARUS (10)
Un pont sur la Seine, Paris

Le bilan officiel de la répression du 17 octobre 1961 est de 3 morts et 64 blessés. Face à cette occultation évidente du nombre de morts, la Fédération de France du FLN procède à son propre recensement du nombre des victimes, et dénombre 327 personnes mortes ou disparues. Ce chiffre est confirmé par Jean-Luc Einaudi, l’auteur d’une des enquêtes les plus approfondies sur le 17 octobre qui établira une liste des victimes mortes et disparues.

MEURTRES A CHARONNE (11)
Métro Charonne, Paris

Le 7 février 1962, à l’approche de l’indépendance de l’Algérie, l’Organisation Armée Secrète (OAS), une organisation d’extrême droite ne supportant pas l’idée que l’Algérie ne soit plus française, intensifie sa campagne d’attentats. Une fillette de quatre ans est grièvement blessée. Le lendemain, une partie de la gauche progressiste parisienne descend dans la rue pour dénoncer le fascisme de l’OAS et appeler à la paix en Algérie. Alors que le cortège se disperse après les discours de fin, les CRS chargent violemment à hauteur de la station de métro Charonne. Matraqués sauvagement, des manifestants et manifestantes tentent de se réfugier dans la bouche de métro. Les individus se retrouvent ensevelis les uns sous les autres, pendant que la police continue son matraquage. Huit militants et militantes de la Confédération Générale du Travail et du Parti Communiste Français y laisseront la vie. Un neuvième mourra quelques mois plus tard de ses blessures.

Notre mémoire 

Les évènements du 17 octobre 1961, ainsi que l’ensemble des répressions meurtrières dont sont responsables les puissances coloniales, doivent être enseignés, discutés, diffusés, pour nous préparer au mieux aux luttes qu’il sera nécessaire de mener afin que, plus jamais, cela ne se produise. Pendant longtemps, le massacre d’octobre a été oublié.

Notre histoire, celle des luttes sociales, celle des soulèvements contre l’oppression, celle du combat pour l’émancipation, est trop souvent oubliée, ou plutôt occultée par la version dominante de l’Histoire. Face à ce constat, nous n’avons qu’un devoir : entretenir notre histoire passée pour organiser nos luttes futures.

Octobre 2021

Karim Brikci-Nigassa

Une pensée à Robin, grâce à qui j’ai pu découvrir, il y a vingt ans, cette histoire.

Tous mes remerciements à Sixtine, sans qui ce texte n’aurait jamais pu aboutir.

“Peuple français, tu as tout vu

Oui, tout vu de tes propres yeux.

Tu as vu notre sang couler

Tu as vu la police

Assommer les manifestants

Et les jeter dans la Seine.

La Seine rougissante

N’a pas cessé les jours suivants

De vomir à la face

Du peuple de la Commune

Ces corps martyrisés

Qui rappelaient aux Parisiens

Leurs propres révolutions

Leur propre résistance.

Peuple français, tu as tout vu,

Oui, tout vu de tes propres yeux,

Et maintenant vas-tu parler ?

Et maintenant vas-tu te taire ?”

– Poème “La gueule du loup”, 17 octobre 1961, par Yacine Kateb


Bibliographie :

–   Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire, Gallimard, 1984.

–   Daeninckx et Mako, Octobre noir, Ad Libris, 2011.

–   Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d’un massacre d’État, Gallimard, 2006.

–   Jean-Luc Einaudi, La bataille de Paris. 17 octobre 1961, Seuil, 1991.

–   Jean-Luc Einaudi et Elie Kagan, 17 octobre 1961, Actes Sud/Solin, 2001.

–   Désirée et Alain Frappier, Dans l’ombre de Charonne, Mauconduit, 2012.

–   Jim House et Nail MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, 2008.

–   Michel Levine, Les ratonnades d’Octobre. Un meurtre collectif à Paris en 1961, Ramsay, 1985.

–   Gilles Manceron, La triples occultation d’un massacre, La Découverte, 2011.

–   Agnès Maillot, La presse française et le 17 octobre 1961, Irish Journal of French Studies, vol. 1, 2001, pp. 25-35.

–   Marcel et Paulette Péju, Le 17 octobre des Algériens, La Découverte, 2011.

Films et documentaires : 

–    “Octobre à Paris” par Jacques Panijel, 1962.

–    “Une journée portée disparue : 17 octobre 1961” par Philip Brooks et Alan Hayling, 1992.

–    “Nuit noire, 17 octobre 1961” par Alain Tasma, 2005.

–    “Dissimulation d’un massacre : 17 octobre 1961” par Daniel Kupferstein, 2011.

–    “Ici on noie les Algériens : 17 octobre 1961” par Yasmina Adi, 2011.

–    “17 octobre 1961” par Sébastien Pascot, 2012.

 



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