ou
la scolarité sacrifiée
par Ben art core (Krasnyi)
Ce ne sont pas les conditions déplorables d’hébergement qui sont les mêmes dans les 2 hôtels (Fast hôtel et le Clément Ader) de la ville de Muret (31600) que je tiens à dénoncer dans ce reportage, mais de mieux comprendre qui sont ces familles et pourquoi 13 enfants, hébergés par le 115, n’ont pas le droit à la scolarité, qui est un droit fondamental reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
La mairie (alertée par les associations et syndicats) se doit de scolariser les enfants de manière inconditionnelle mais se défausse sur le rectorat. Il semblerait qu’il n’y ait plus de place dans les établissements scolaires d’après la mairie, alors que dans le même temps, une classe risque une fermeture car elle est en sous-effectif. Les enseignants espèrent de nouveaux élèves de dernière minute pour éviter la fermeture de la classe. Après vérification par une enseignante sur la carte scolaire, les classes des écoles de Muret ne sont en aucun cas surchargées.
Retour sur la situation :
Mars 2020, Sophie du DAL 31 (Droit Au Logement) est contactée par les enseignants afin d’assurer les inscriptions pour l’année suivante. En plein confinement, tout est fermé. Les permanences, les rdv avec les assistantes sociales sont difficiles à avoir. La Croix Rouge de Muret et l’association Espoir viennent faire des distributions de matériel scolaire. Sophie est contactée par Guillaume Chemineau, professeur relais précarité du collège privé Saint Joseph. L’une de ses missions est de scolariser les enfants en hébergement d’urgence dans les hôtels, les campements. Les dossiers se remplissent sur le capot d’une voiture garée devant l’hôtel. Un travail titanesque sans moyens. Mais la tâche est accomplie.
A la rentrée scolaire 2020 tous les enfants sont scolarisés sur la commune de Muret. A peine 2 mois après la rentrée les familles reçoivent des notifications de départ. Elles seront hébergées sur d’autres communes comme Tournefeuille, Cornebarrieu, Toulouse…
Sans perdre une seconde, le travail d’inscription recommence. Rencontre avec les professeurs relais précarité (débordés) pour inscrire les familles dans leur nouvelle commune.
Début 2021, pour certaines familles, nouvelle notification d’hébergement sur la commune de Muret. Là, c’en est trop. Le refus d’inscription des 13 enfants est donc un bras de fer entre la mairie et la préfecture. Monsieur le Maire a conscience d’être dans l’illégalité vis-à-vis de l’obligation de scolarisation et admet que ce n’est pas acceptable pour ces enfants qu’il “sacrifie”.
Le maire demande (légitimement) plus de moyens, à savoir notamment l’ouverture de classes spécialisées pour l’accueil de primo-arrivants et dispositif UPE2A. Il estime également que la préfecture doit prendre des dispositions pour que les familles ne soient pas déplacées aussi fréquemment, et pour qu’elles soient mieux réparties entre les communes de l’agglomération.
La Convention comporte 54 articles, énonçant que chaque enfant a :
-
- le droit d’avoir un nom, une nationalité, une identité,
- le droit d’être soigné, protégé des maladies, d’avoir une alimentation suffisante et équilibrée,
- le droit d’aller à l’école,
- le droit d’être protégé de la violence, de la maltraitance et de toute forme d’abus et d’exploitation,
- le droit d’être protégé contre toutes les formes de discrimination,
- le droit de ne pas faire la guerre, ni la subir,
- le droit d’avoir un refuge, d’être secouru, et d’avoir des conditions de vie décentes,
- le droit de jouer et d’avoir des loisirs,
- le droit à la liberté d’information, d’expression et de participation,
- le droit d’avoir une famille, d’être entouré et aimé.
La convention met en avant quatre principes fondamentaux concernant les enfants : la non- discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit de vivre, survivre et se développer ainsi que le respect des opinions de l’enfant. Vu sur : https://www.unicef.fr/dossier/convention-internationale-des-droits-de-lenfant
Je rencontre à l’étage une première famille. La porte s’ouvre donnant sur une toute petite chambre dans laquelle un lit occupe tout l’espace de la pièce. Sur le lit aligné devant la télé (qui je me doute tourne en boucle sur Gulli toute la journée pour faire passer le temps vu que le gérant ne laisse pas les enfants jouer sur le parking), Eyda 10 ans, Samira 8 ans, Maryam 4 ans et Mohammed 9 mois. Ils sont Tchétchènes même si Maryam est née en Allemagne et Mohammed à Toulouse.
Cela fait 4 ans que Milana et son mari Ilman sont arrivés en France.
Ils ont fui leur pays à la suite de tensions. Visiblement pas considéré comme un « pays à risque » par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), la haute autorité du droit d’asile. Pour la France, un pays ou le « crime d’honneur » vient d’être rétabli et ou la communauté internationale porte plainte pour « crime contre l’humanité » (actes de barbarie envers les personnes homosexuelles) est un « pays sûr ». D’ailleurs, ils se sont vu notifier une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Pour aller où ? ils ont tout quitté, tout perdu.
Après avoir passé un an à Toulouse, ils ont dû partir en CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) le temps de traiter leur situation administrative, puis à l’Ile Jourdain, à Montauban et aujourd’hui ils sont à Muret. Cela fait 3 mois qu’ils sont à l’hôtel où ils se partagent deux chambres. Milana, dort dans une des chambres avec Eyda et Mohammed tandis que Ilman dort dans l’autre avec Samira et Maryam.
N’ayant pas accès à la cuisine commune, ils sont obligés de cuisiner sur une petite plaque dans leur chambre. Ils ont été envahis de punaises de lit. Alors pour éviter que Mohammed âgé de 9 mois ne se fasse piquer, sa mère veille la nuit et laisse la lumière allumée. « J’ai peur pour Mohammed, c’est dangereux ».
Les cafards courent les murs, les punaises de lit courent les matelas.
Les enfants jouent dans les couloirs de l’hôtel.
Où seront-ils/elles tous et toutes à la prochaine rentrée scolaire ?
Ben Art Core|Krasnyi Collective