“En costume-cravate sont les vrais voyous
Vous ne croyez plus en rien, plus personne croit en vous
Racailles!
Y’a qu’à observer les taux d’abstention
Faut pas trop prendre les gens pour des cons, attention
Racailles!
Sentez-vous le vent tourner comme vos vestes?
Entre vous et la rue, y’a plus que les CRS.”
Kerry James
Dans nos quartiers, dans nos manifestations, dans nos foyers, l’État, détenteur du monopole de la violence légitime, use et abuse de la force publique. En tant que bras armés de l’État bourgeois et raciste, la police et l’armée ont pour mission de maintenir l’ordre établi, et réprimer toutes celles et ceux qui pourraient le mettre en danger. Que cela soit pour s’attaquer aux mouvements sociaux en lutte, ou pour maintenir la domination sur les classes opprimées, ces violences d’État ont parfois mené à la mort des personnes sur qui elles s’exercent.
Cette série vise à dénoncer les conséquences mortelles de la répression d’État sur les populations issues de l’immigration ou de l’esclavage, les classes populaires, les femmes et les LGBTQI+, la jeunesse, les travailleurs et travailleuses ainsi que toutes celles et ceux qui luttent. Mais cette série vise également à dénoncer le système judiciaire et politique qui organise l’impunité des forces armées et de police dans l’exercice de cette répression, et par là-même, leur permet de continuer à abuser de la force publique. Elle vise surtout à rendre hommage aux victimes de ces crimes d’État, pour que l’on n’oublie jamais l’injustice insupportable qui leur a ôté la vie.
Bien sûr, les meurtres d’État sont aussi vieux que la création de ses forces de répression armées. Cette série se concentre sur les évènements des dernières décennies, et ce dans un double but. Le premier est de montrer que l’espace public que nous arpentons tous les jours a pu être la scène, il y a 5, 10 ou 40 ans, d’un meurtre par les forces de l’ordre. Le second est de faire prendre conscience que les meurtres d’État ne sont pas que des événements du passé. Ils ont lieu aujourd’hui, et continueront à avoir lieu tant que l’on permet aux forces armées d’user et abuser de la force pour réprimer les mouvements sociaux et les populations opprimées.
Que ce soit dans nos manifestations, dans nos grèves ou dans nos quartiers, l’État charge la police et l’armée, qu’elle sait capables de violences extrêmes, de gérer des tensions sociales sans s’atteler aux causes de ces problèmes sociaux. Vu l’aggravation de nos conditions de vie et de travail, les prochaines années vont voir les luttes sociales prendre de l’ampleur et les éruptions de colère se multiplier dans les quartiers. En réaction, il nous semble fort probable que les forces de l’ordre, dont le but principal est de protéger la classe dirigeante, continueront à abuser de la force à cette fin. Braquer les projecteurs sur ces abus est donc plus que jamais d’actualité.
Ce projet de la série Never Forget, que nous intitulons Never Forgive, est en construction et sera complété au fil du temps.
Ni oubli, ni pardon
Never Forget, Never Forgive
Sixtine d’Ydewalle, textes
Manu Scordia, dessins
Thibaut Dramaix, dessins
Karim Brikci-Nigassa, photos
© Krasnyi Collective
A propos de Never Forget
Never Forget est une collection éditée par le Collectif Krasnyi. Nous partons du constat que l’histoire populaire, l’histoire des luttes sociales, l’histoire de leur répression par la classe dominante est consciemment occultée, ou en tout cas absente de manière visible dans les lieux que nous sommes toutes et tous amenés à parcourir quotidiennement.
Dans cette série, après un temps de recherches historiques et géographiques, nous arpentons nos villes et nos campagnes à la recherche des endroits où se sont déroulés les événements majeurs de l’histoire que l’on cherche à raconter. Des photographies de ces lieux contemporains sont capturées et ensuite interprétées par les dessinateurs qui tentent de reconstituer au mieux les événements historiques en question. Nous espérons que ces photographies dessinées vous permettront de découvrir ou redécouvrir un pan important de notre histoire.
MALIK OUSSEKINE
Nuit du 5 au 6 décembre 1986 ; 20 rue Monsieur-le-Prince à Paris
A la fin de l’année 1986, un mouvement lycéen et étudiant de grande ampleur se constitue contre la proposition de réforme universitaire élitiste et néolibérale du gouvernement Chirac. La répression des manifestations est très dure, et les jeunes font face à des brigades policières à moto, appelées les voltigeurs. Lors de la dispersion de la manifestation du 5 décembre 1986, les voltigeurs arpentent le Quartier latin à la recherche de prétendus “casseurs”. Dans la nuit, Malik Oussekine, un étudiant franco-algérien de 22 ans rentrant d’un club de jazz, est pourchassé par les voltigeurs et battu à mort dans le hall d’un immeuble où il cherchait refuge.
En réaction à ce meurtre, des manifestations éclatent un peu partout en France et des barricades sont dressées dans le Quartier latin. Face à la colère populaire, Jacques Chirac renonce à sa réforme, et la brigade des voltigeurs est dissoute immédiatement. Néanmoins, une brigade équivalente sera reformée trente ans plus tard lors du mouvement des Gilets jaunes sous le nom de BRAV-M (Brigades de répression des actions violentes motorisées).